L’efficacité énergétique est un marché très intéressant, d’un point de vue économique et environnemental. Dans l’industrie notamment, les gisements d’économie sont pour la plupart très rentables (sans subvention ni autre mécanisme de soutien). Ils améliorent la compétitivité de nos entreprises et diminuent leur impact environnemental. Et pourtant, ce marché ne se développe pas comme il le devrait, au regard de son potentiel.
En interrogeant l’ensemble des acteurs gravitant autour de l’efficacité énergétique (industriels, fournisseurs de solutions, bureaux d’études,….), se révèle une anomalie qui pourrait expliquer cette anémie.
Une anomalie dans la chaîne de valeur qui fait que la question « qui prend le risque sur les économies d’énergie réalisées ? » ne trouve pas aujourd’hui en France de réponse claire et systémique.
Une opération d’efficacité énergétique fait intervenir en général 2 voire 3 acteurs :
- L’industriel, consommateur d’énergie, qui possède dans son usine des gisements d’économies (dans ses groupes froids, sa chaudière, ses moteurs,…)
- Le fournisseur de solutions : qui est capable de dimensionner et de fournir la solution permettant d’exploiter ces gisements.
- Un bureau d’étude qui a identifié en amont les gisements potentiels (via un audit) ou qui conseille l’industriel dans la réalisation de ses opérations d’efficacité énergétique.
Les opérations qui voient le jour sont celles sur lesquelles l’industriel prend le risque de sous performance. Il achète la solution, et il verra bien. Dans de nombreux cas, les opérations ne voient pas le jour malgré leurs bénéfices évidents, car l’industriel oppose une réticence légitime. Celui qui estime les économies, est la plupart du temps le fournisseur de solutions, qui est juge et partie par définition. Un BE peut l’accompagner, le conseiller, mais il ne prend aucun engagement sur les estimations qu’il présente, ce n’est pas son métier.
Lorsqu’il s’agit alors de savoir qui prend la responsabilité sur la performance énergétique de l’opération, ces trois acteurs, l’industriel, le fournisseur et le BE, se retrouvent comme trois poules ayant trouvé un couteau.
En effet, ce couteau, qu’est la performance énergétique est plus complexe qu’il n’y parait. Il se situe à l’intersection de 3 domaines, trois compétences bien distinctes :
- Une compétence technique : qui permet d’analyser la solution proposée, d’estimer les économies qu’elle générera et de mesurer a posteriori ces économies.
- Une compétence juridique : comment définir cette performance, les périmètres des responsabilités, les conditions dans lesquelles une garantie de performance peut s’appliquer. Que se passe-t-il si l’activité de l’industriel diminue (les économies diminuant mécaniquement). Que se passe-t-il si la sous performance vient d’un défaut de maintenance ? Quelle mécanique de bonus-malus mettre en place en cas de sous ou surperformance ?
- Une compétence financière : celui qui prend le risque de la performance, doit implicitement ou réellement provisionner un compte, pour assumer sa responsabilité en cas de sous performance. Comment estimer le risque, que provisionner, quand ? relève de la gestion financière.
Lorsque l’industriel ne veut pas prendre le risque, il ne reste donc plus que le fournisseur et le BE. Or les modèles économiques de ces entreprises sont génétiquement incompatibles avec la prise de ce type de risque. Le fournisseur vend un produit, sur lequel il réalise une marge. Le BE vend un conseil, sur lequel il marge. Ils ne sont pas structurés pour définir juridiquement une performance et sa garantie. Ils ne sont pas structurés financièrement, pour évaluer le risque et provisionner les fonds nécessaires à la couverture de ce risque. Ces différents acteurs se renvoient la patate chaude que représente l’engagement sur la performance de l’opération d’efficacité énergétique en question.
Nous excluons de ce raisonnement, les grands groupes énergéticiens dont les filiales en charge de l’efficacité énergétique sont en mesure de proposer des Contrats de Performance Énergétique. Cette typologie d’acteurs, présente une autre anomalie qui n’est pas l’objet de cet article, mais soulignons tout de même le fait que leur positionnement schizophrène n’en font pas des « architectes » sains de ce marché. En effet le cœur de métier de ces grands groupes est la production et la vente d’énergie. Autant demander à un dealer de préconiser des cures de désintoxication à ses clients….Mais nous développons cette question dans un autre article « Aux électroliques anonymes ».
Revenons à nos poules. Devant ce couteau, les poules, et c’est tout à fait normal, s’en retournent à leurs occupations, chacune de leur côté, et l’opération ne voit pas le jour.
Il manque donc un maillon dans la chaîne de valeur de l’efficacité, qui permettrait à ces milliers d’opérations en stand-by, de se réaliser. Un maillon se situant à l’intersection du technique, du juridique et du financier.
Cette anomalie du marché peut donc être résolue, si l’on voit émerger, comme on peut l’observer aux Etats-Unis par exemple, un nouveau type d’acteurs économiques. Des sociétés ayant à la fois la capacité technique d’appréhender une opération, d’en évaluer les gains et les risques, la capacité juridique de concevoir des contrats définissant la performance, et les responsabilités de chacun, et enfin la capacité d’avoir une approche financière de ces opérations. Des sociétés qui prennent la patate chaude et la garde.
Ce n’est pas une question de compétence des acteurs, chacun fait son métier, conformément à son modèle économique. Ce n’est pas une question de mauvaise volonté, nous avons rencontré beaucoup de fournisseur de solution qui voulaient prendre le risque de performance pour rassurer leurs clients, mais qui ne savaient pas par quel bout prendre ce couteau. C’est une question structurelle du marché.
Pour voir se réaliser toutes ses opérations d’efficacité énergétique en souffrance, et ainsi avoir un effet significatif sur l’impact environnemental de l’industrie française, il nous faut créer l’éco-système permettant de faire sauter ce verrou de la responsabilité sur la performance. Pas besoin de subvention, de CEE ou autres mécanisme, une chaîne de valeur saine et cohérente.
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